Café-Tasse

Le réel va être modifié, pas augmenté, par la “réalité augmentée”.

À la réalité à laquelle nous sommes habitués, régie par ses lois physiques propres, s’ajouteront bientôt des éléments virtuels, des objets, des personnages, voire des espaces virtuels entiers, qui ne cesseront de se multiplier et de pénétrer notre espace. C’est l’arrivée de la réalité augmentée.

Nous pouvons nous attendre à ce que l’interaction entre le réel et le virtuel se développe, soit de plus en plus présente et prégnante, et à ce que la frontière entre les deux soit de moins en moins nette. D’interaction, nous passerons à interpénétration.

Or, les lois physiques qui régissent notre monde ne sont que simulées dans le virtuel. Les éléments de la réalité virtuelle et/ou augmentée singent la matière mais ils n’ont pas d’autre matérialité que visuelle. Ils sont “creux”. Ils n’ont pas “d’intérieur”.
Et si celui qui les crée oublie de cocher la case “anti-collision”, ils se traversent, s’interpénètrent librement, sans la moindre résistance ni déformation.
Même chose si le logiciel qui les place dans notre espace n’arrive pas à tenir compte de certains objets ou personnes présentes.
Et sans parler des interpénétrations possibles entre projections de réalité augmentée émanant de marques concurrentes !

Il y aura des interpénétrations de type réel/virtuel & virtuel/virtuel.

Et lorsque leur affichage sera de très bonne qualité, on peut même imaginer qu’il sera bien difficile de distinguer les unes des autres.

Quoique les techniciens s’attellent à ce que ces “ajouts” s’intègrent le plus parfaitement possible dans notre espace, de la façon la plus crédible et réaliste possible, les erreurs, les oublis, les “bugs”, subsisteront.
Il arrivera donc qu’apparaissent furtivement des situations qui ne seraient absolument pas permises par nos lois physiques : des inadéquations spatio-temporelles.

Nous pouvons alors facilement imaginer que des programmeurs, voire des programmes, s’attacheront à les trouver, étudier & répertorier (pour mieux éviter qu’elles se produisent à nouveau), puis les faire disparaître au plus vite.
Comme des médecins, mais du virtuel, ils pourraient tout à fait qualifier ces inadéquations de “légères”, “moyennes”, “fortes” ou “sévères”, selon leur importance.

Inadéquation spatio-temporelle moyenne, n°360-c, avant-projet, 2005

Les bugs comme œuvres.

Travaillant énormément les images 3D, j’ai commencé à penser en 2005 à ce principe d’Inadéquations spatio-temporelles. Il serait intéressant, au lieu de les faire disparaitre, au contraire, de figer et conserver ces phénomènes éphémères afin de pouvoir les observer attentivement.

En effet, lorsque la RA sera arrivée à un grand niveau d’intégration et de crédibilité, ces erreurs seront peut-être la dernière façon de les distinguer du réel que nous connaissions.

Elles seront les symboles parfaits du changement du réel. Elles constitueront des transgressions flagrantes de nos lois physiques mais, comme l’espace virtuel sera greffé sur l’espace réel, nous nous y habituerons, il se confondra avec lui.
Par conséquent, la définition du réel va être modifiée. L’espace que nous considérerons comme réel, celui au sein duquel nous évoluerons quotidiennement, ne sera plus le même, il sera un mélange de ce qu’aujourd’hui nous nommons « espace réel » et « espace virtuel ».

Figer et exhiber de tels phénomènes à travers l’art permet donc de s’interroger sur ce que sera notre appréhension du réel et sur la manière dont nous existerons en son sein.
Car, si les lois du réel ne changeront pas avec la réalité augmentée, notre manière de l’appréhender, de le percevoir et de le penser changera, elle, nécessairement.

Ces phénomènes singuliers et troublants peuvent donc être considérés comme des œuvres d’art, bousculant les limites établies de notre monde et de nos perceptions, questionnant le statut du réel.

Les exemples que j’explore, parce qu’ils me semblent être les plus probables, sont :
— soit l’affichage, au même moment et au même endroit, de deux objets ou entités ayant des définitions ou des références proches mais qu’un programme confond et affiche simultanément,
— soit l’affichage d’un élément virtuel sur/à travers un élément réel qu’il tente d’améliorer, de compléter, de modifier… d’augmenter. Ou tout simplement qu’il croise par erreur.

Aucun des deux ne sont-ils “réels” ? Ou un seul ? Mais lequel dans ce cas ?

Inadéquation spatio-temporelle forte, n°363 : Apache-Eindker, petits vaisseaux de guerre aéroportés, début XXe-fin XXe, 2006

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